Le TGI de Paris, en la forme des référés, a prononcé le 2 avril 2015 (jugement ci-dessous) le blocage judiciaire du site T411 à l’encontre des principaux fournisseurs d’accès à internet français. Ce blocage fait suite à l’action engagée par la SCPP.

D’emblée, on remarque la forte ressemblance de cette affaire avec celle du 4 décembre 2014 ayant conduit au blocage du site ThePirateBay en France, que ce soit au niveau des parties, des arguments avancés et de la solution retenue.

Le TGI de Paris conforte ainsi la jurisprudence en matière de blocage de site internet et met en application les principes retenus dans les arrêts SABAM (ScarletNetlog) et l’arrêt UPC Telekabel de la CJUE.

Cette décision éclaire donc sur la mise en oeuvre de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, lequel dispose qu’

« en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l’article L.321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 31-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. »

Quelques observations peuvent ainsi être faites sur cette décision.

* * *

  • Absence d’atteintes au principe de proportionnalité

La société FREE reprochait notamment à la SCPP de ne pas avoir assigné les éditeurs du site T411. Elle en concluait que le principe de proportionnalité édicté par la directive 2004/48 et rappelé par les arrêts SABAM et UPC TELEKABEL n’était pas respecté.

Le TGI de Paris rappelle qu’il n’est pas prévu par la loi que l’action en contrefaçon dirigée à l’encontre des auteurs des atteintes

« soit mise en oeuvre préalablement à celle par laquelle des mesures provisoires peuvent être sollicitées à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes à leurs droits et que la demande de la SCPP formée à l’encontre des fournisseurs d’accès conserve une nature de demande subsidiaire. »

En outre, les juges relèvent toute l’utilité du dispositif, face à des éditeurs de site qui changent d’hébergeur afin de court-circuiter les demandes de blocage de leurs serveurs :

« il apparaît que les dispositions de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle sont précisément destinées à permettre aux ayants-droit et organismes de défense professionnelle concernés d’exercer une action distincte de celle par laquelle les premiers peuvent faire juger qu’une contrefaçon leur cause un préjudice dont ils demandent réparation aux auteurs de cette contrefaçon, en l’occurrence l’opérateur de sites contrefaisants» lesquels « ont pour politique de changer les adresses des sites et de varier leur hébergement dans les serveurs ce qui rend très aléatoire toute action formée à leur encontre »

Toutefois, le dispositif de l’article L.336-3 du code de propriété intellectuelle n’est pas totalement efficace, dans la mesure où le blocage prononcé peut être contourné par les internautes.

  • Les risques de contournement des mesures par les internautes

La société FREE faisait valoir que cette mesure de filtrage consistant à bloquer le site « T411.me » était facilement contournable par les internautes, rendant par là-même inefficace ce type de décision.

Les juges considèrent toutefois que la demande de blocage de l’accès reste le seul moyen réellement efficace pour lutter contrer la contrefaçon en ligne car, selon eux,

« il n’est pas établi que la grande majorité des internautes, qui est attachée à la gratuité des communications et de nombreux services sur l’internet, a la volonté affermie de participer à une piraterie mondialisée et à grande échelle et (…) les mesures sollicitées visent le plus grand nombre des utilisateurs, lesquels n’ont pas nécessairement le temps et les compétences pour rechercher les moyens de contournement que les spécialistes trouvent et conservent en mémoire. ».

Cette vision quelque peu angélique est toutefois contrecarrée par la réalité puisque, très rapidement, T411 a annoncé 7 solutions pour contourner son blocage de façon gratuite et facile…

  • Evolution du blocage

Le TGI de Paris ajoute dans son dispositif qu’

« en cas d’une évolution du litige notamment (…) par la modification du nom de domaine ou chemins d’accès, la SCPP pourra en référer à la présente juridiction, en mettant en cause par voie d’assignation les parties présentes à cette instance ou certaines d’entre elles, en la forme des référés, afin que l’actualisation des mesures soit ordonnée ».

Les juges rappellent ainsi que les FAI n’ont pas d’obligation générale de surveillance et que seul l’autorité judiciaire peut prononcer une telle mesure de blocage. La décision témoigne également de l’inefficacité de la mesure prononcée.

En effet, de la même manière que les éditeurs de site de partages illégaux ont pour politique de changer leur hébergement pour échapper aux mesures de blocage imposées à leur hébergeur, il leur est tout aussi loisible de changer de nom de domaine pour échapper aux mesures de blocage imposées aux FAI. La décision ThePirateBay, qui ordonnait le blocage du site ThePirateBay ainsi que 71 autres sites de redirection, sites miroirs ou proxies de ThePirateBay témoigne bien de ce que la lutte contre la contrefaçon en ligne revient à combattre l’hydre de Lerne.

  • Liberté du choix des mesures de blocage prises par les FAI

Le Tribunal laisse le soin aux différents FAI de

« mettre en oeuvre ou de faire mettre en oeuvre (…) toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace et notamment par le blocage du nom de domaine ’T411.me’ ».

Les juges reconnaissent que cette mesure

« laisse à chaque fournisseur d’accès à l’internet la possibilité de déterminer la nature des mesures qu’il convient de mettre en oeuvre, eu égard à la structure juridique et technique de leur entreprise, aux effets des mesures prises et à l’évolution du litige et qui privilégie une mesure acceptée par l’ensemble des fournisseurs d’accès à l’internet appelés à cette instance ».

Cela marque la particularité du contentieux de cette matière, les ayants-droit devant nécessairement compter sur une collaboration technique avec les intermédiaires. La liberté dans le choix des mesures facilite le déploiement d’une solution compatible avec la structure de l’intermédiaire technique et participe à l’efficacité du blocage ordonné.

  • Durée limitée du blocage

La durée du blocage prononcée est de douze mois à compter de la mise en place des mesures de blocage. Cette durée est conforme à la demande de la SCPP.

On remarque ici l’extrême précaution des demandeurs à ne pas solliciter des durées de blocage s’inscrivant sur le moyen terme. Les arrêts Scarlet et Netlog de la CJUE avaient pu laisser songeur quant à savoir ce qu’il fallait entendre par la formule « sans limitation dans le temps ». Une durée déterminée pouvait-elle devenir limitée ? A partir de quand une durée déterminée pourrait-elle être considérée comme « sans limitation dans le temps »  ? Bref, est-ce que la formule « sans limitation dans le temps » signifie « durée excessive » ? En pratique, les requérants ne se risquent pas à engager le débat sur ce point, d’où des délais de blocage relativement courts.

  • Coût du blocage

Le TGI considère que

« le coût des mesures ordonnées ne peut être mis à la charge des défendeurs qui ont l’obligation de les mettre en oeuvre », ainsi les FAI pourront « solliciter, s’ils le souhaitent, le paiement de leurs frais auprès des demandeurs à l’instance, eu égard aux mesures effectivement prises et aux dépenses engagées spécifiquement pour l’application des injonctions qui leur sont faites ».

Les juges motivent leur décision à l’appui des jurisprudences SABAM et TELEKABEL à propos de l’atteinte caractérisée à la liberté entreprise du fournisseur d’accès à internet. La première avait critiqué que la mesure de filtrage soit opérée « à ses seuls frais », la seconde avait retenu que les mesures étaient « susceptibles de représenter pour [le FAI] un coût important ».

Même si une lecture à contrario des arrêts de la CJUE ne semble pas interdire de faire supporter une partie des coûts à l’intermédiaire technique (« à ses seuls frais » ; « un coût important »), le TGI de Paris relève surtout la position du Conseil Constitutionnel dans sa décision du 28 décembre 2000 (Cons. Const. n°2000-441, DC, Loi de finances rectificatives pour 2001).

Les Sages avaient censuré les dispositions de la loi imposant aux opérateurs de télécommunications le coût des dépenses résultant de la mise en place et du fonctionnement des dispositifs techniques utilisés pour les nécessités de la sécurité publique et concourant à la sauvegarde de l’ordre public et de l’intérêt général de la population.

On comprendrait donc mal en quoi la défense d’intérêts privés tels que ceux visant à protéger des droits de propriété intellectuelle puisse être, par dérogation, prise en charge par les intermédiaires techniques.

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Gaëtan Bourdais, Avocat

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